Par Sandro CAPO CHICHI
Explorez la dynamique complexe de la collaboration de certains Noirs dans le système esclavagiste. Cet article dévoile les nuances historiques et les débats contemporains autour de ce sujet sensible et souvent mal compris.
HISTOIRE MÉCONNUE : LA PARTICIPATION DES NOIRS À L’ESCLAVAGE
Dans un éclairage provocateur et nécessaire sur l’histoire de l’esclavage, Philippe Triay1, dans son article publié sur www.la1ere.fr, met en avant les recherches de l’anthropologue sénégalais Tidiane N’Diaye2 qui dévoile une facette souvent occultée de l’esclavage : la complicité de certains monarques africains dans ce commerce inhumain.
« C’est une réalité sur laquelle historiens, journalistes et militants ont souvent jeté un voile, par lâcheté intellectuelle ou opportunisme idéologique. Mais les faits sont têtus, et il existe assez d’archives pour l’attester. Durant les longs siècles de traite et d’esclavage arabo-musulman puis occidental, des États négriers d’Afrique ont participé et se sont enrichis grâce à ce commerce, comme les royaumes d’Ashanti ou d’Abomey (actuels Ghana et Bénin) par exemple (voir cartes ci-dessous).« Esclavage : « La complicité de monarques africains est une donnée objective », selon l’anthropologue sénégalais Tidiane N’Diaye
Cette révélation, basée sur des faits historiques objectifs, remet en question les narrations simplistes et soulève des débats cruciaux sur la responsabilité et la complexité des systèmes esclavagistes à travers les âges. Ce type de réactions de Noirs dans les médias n’est pas rare.
Il y a quelques années, l’historien béninois feu Félix Abiola Iroko3 a suscité un vif débat en mettant en lumière, à travers son ouvrage largement diffusé dans les médias, une perspective provocatrice sur la traite négrière. Il avance l’idée que les Africains eux-mêmes portent une part de responsabilité significative, peut-être même supérieure à celle des négriers européens, dans le commerce transatlantique des esclaves.
Dans une vidéo, l’historien béninois Félix Abiola Iroko emploie avec discernement les termes ‘les Africains‘ et ‘les négriers européens‘ pour identifier les acteurs de la traite transatlantique des esclaves. Cette distinction linguistique, bien que non intentionnelle, tend à généraliser la culpabilité à l’ensemble du continent africain, minimisant ainsi le rôle spécifique joué par une fraction des Européens.
Originaire de Kétou4, une cité Yoruba5 historique de l’actuel Bénin, Iroko apporte une perspective unique, influencée par l’histoire tumultueuse de sa région, marquée par les raids esclavagistes des royaumes du Dahomey6. À travers ses travaux, il est possible de percevoir une critique nuancée, potentiellement teintée d’une rancune personnelle envers ces royaumes, similaire au ressenti d’autres populations des régions jadis affectées par les actions de Dahomey, telles que Dassa ou Savé7.
La réévaluation historique au Bénin des figures royales du Dahomey, souvent célébrées pour leur résistance face à la colonisation, suscite des réactions contrastées, particulièrement parmi les descendants des peuples qui furent leurs victimes. La glorification unilatérale de ces monarques par leurs descendants omet une facette sombre de leur règne : leur implication directe dans la traite des esclaves et les sacrifices humains. Cette perspective, considérée comme subversive dans le contexte spécifique du Bénin, met en lumière une douleur historique profonde. Pour les communautés locales ayant enduré ces violences, la menace incarnée par ces voisins agresseurs était bien plus immédiate et tangible que celle représentée par les Européens éloignés.
Dans le contexte spécifique des Antilles, où les discours sur la traite négrière tendent à accentuer le rôle des victimes, tant africaines qu’antillaises, la démarche de Philippe Triay, à travers son article, s’inscrit dans une volonté de nuancer ce récit. En soulignant la part de responsabilité des Africains, il explore une facette moins abordée de cette histoire douloureuse. Triay avance que, malgré la réticence de certains historiens, journalistes et militants à reconnaître cette complexité, ‘les faits sont têtus‘.
Il met en avant l’existence d’archives substantielles attestant de cette réalité, souvent occultée par ce qu’il qualifie de ‘lâcheté intellectuelle ou opportunisme idéologique‘. Cette approche, qu’il perçoit comme une quête objective de vérité, vise à équilibrer le récit historique en confrontant les abus idéologiques qui minimiseraient la responsabilité africaine dans l’esclavage.
La perception courante de l’Afrique comme uniquement victime de la traite négrière, opposée à l’idée qu’elle puisse aussi avoir été acteur dans la souffrance des ancêtres des Noirs du Nouveau Monde, répond à un récit historique dominant. Ce dernier, largement véhiculé par les manuels d’histoire français destinés aux descendants de l’empire colonial, tend à minimiser la responsabilité européenne dans la traite négrière, laissant entendre que les Européens auraient presque seuls mis fin à ce commerce inhumain.
Cette version des faits, souvent contestée sur des plateformes comme Nofi, reflète une idéologie dominante plutôt qu’une réalité historique. En effet, la répétition de cette théorie par certains cercles historiques occidentaux a imprégné notre conscience collective, nous amenant à questionner la part de vérité derrière cette affirmation.
La critique de la participation africaine à l’esclavage, fréquemment attribuée de manière péjorative aux ‘roitelets‘ africains, sert souvent d’outil à une vision européenne pro-colonialiste et anti-panafricaine de l’histoire. Cette approche n’offre pas une perspective subversive mais perpétue une idéologie prédominante. Au contraire, la véritable subversion réside dans la mise en lumière des nombreuses formes de résistance contre l’esclavage, méconnues du grand public, tant en Afrique qu’aux Amériques. Ces récits incluent le génie architectural africain, le courage, la moralité, les efforts pour retrouver les familles déchirées par la déportation, et soulignent le rôle central des Occidentaux dans l’établissement de la traite négrière.
Plutôt que de répéter des informations largement diffusées sur la complicité de certains royaumes africains, il est essentiel de révéler ces histoires de résistance et d’humanité qui offrent une vision plus équilibrée et enrichissante de notre passé.
LA COMPLEXITÉ DE L’HISTOIRE DE L’ESCLAVAGE ET LA QUÊTE D’UNE NARRATION ÉQUILIBRÉE
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NOTES ET RÉFÉRENCES
- Philippe Triay : Journaliste et auteur, Philippe Triay est reconnu pour ses contributions significatives dans le domaine des études postcoloniales, se concentrant notamment sur l’histoire de l’esclavage et ses répercussions contemporaines. Ses travaux offrent un éclairage nouveau sur des sujets historiques complexes, en invitant à repenser les narrations établies. ↩︎
- Tidiane N’Diaye : Anthropologue et économiste sénégalais né le 20 août 1950, Tidiane N’Diaye est l’auteur de plusieurs ouvrages qui explorent l’histoire de l’Afrique, la diaspora africaine, et la traite transatlantique des esclaves. Son analyse objective des complicités africaines dans l’esclavage a suscité d’importantes réflexions sur les responsabilités partagées dans ce chapitre sombre de l’histoire. ↩︎
- Félix Abiola Iroko : Historien béninois, Félix Abiola Iroko est particulièrement connu pour ses recherches approfondies sur l’histoire de l’Afrique de l’Ouest, et plus spécifiquement sur le rôle des états et des monarques africains dans la traite négrière. Ses travaux mettent en lumière des aspects souvent négligés ou minimisés de l’histoire africaine. ↩︎
- Kétou : Ville historique située dans l’actuel Bénin, Kétou est renommée pour son riche héritage culturel et son importance dans l’histoire du peuple Yoruba. La cité était autrefois un centre influent, témoignant de la complexité des sociétés précoloniales africaines. ↩︎
- Yoruba : Ethnie majoritairement présente au Nigeria, au Bénin, et dans d’autres parties de l’Afrique de l’Ouest. Le peuple Yoruba est connu pour sa riche tradition culturelle, ses systèmes religieux, et son impact historique sur la région, notamment à travers ses structures politiques et sociales complexes avant et pendant la période coloniale. ↩︎
- Royaume du Dahomey : Puissant état précolonial situé dans ce qui est aujourd’hui le Bénin, le royaume du Dahomey est célèbre pour ses exploits militaires, son organisation sociale, et son rôle dans la traite des esclaves. Les monarques du Dahomey ont participé activement au commerce transatlantique des esclaves, contribuant à l’histoire complexe de l’esclavage en Afrique. ↩︎
- Dassa et Savé sont deux villes historiques situées dans le centre du Bénin, en Afrique de l’Ouest. Elles font partie de la région culturellement riche des peuples Yoruba et sont entourées de collines sacrées, jouant un rôle significatif dans la spiritualité et l’histoire locale. Historiquement, ces villes ont été des centres importants avant la colonisation, avec des sociétés organisées et des traditions culturelles distinctes. Elles ont également été affectées par les raids esclavagistes, notamment ceux menés par le royaume du Dahomey, qui cherchait à étendre son influence et à capturer des esclaves pour le commerce transatlantique. La mémoire collective des habitants de Dassa et Savé porte encore les traces de ces périodes tumultueuses, marquées par la résistance face aux exactions et la préservation de leur identité culturelle malgré les défis imposés par les dynamiques de pouvoir régionales. ↩︎
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